│fr.Écrivain Politique│CULTURE / RFI.- C’est un film précieux, respectueux et percutant. Il nous permet de plonger dans l’histoire intime de quatre filles d’origine maghrébine, dont Bouchera Azzouz, réalisatrice de ce documentaire. Montré au Fipadoc, à Biarritz, « On nous appelait beurettes » est une main tendue vers les deux côtés qui faisaient pression sur ces filles : « On a compris qu’il fallait à la fois faire évoluer la société, mais aussi nos familles. » Doté d’images rares des cités, ce film nous fait comprendre en 52 minutes la grande histoire de l’immigration en France à travers cette première génération de femmes d’origine maghrébine nées en France après la guerre d’Algérie. Entretien.
Parce que ce n’est pas le sujet du film. En même temps, on n’a pas été bercé dans une mémoire de la guerre. Dans notre vie d’enfant et d’adolescent, on n’avait pas cette revendication. Mais, il est important de dire qu’on était la première génération postcoloniale à être née en France. Et nous avons été la génération qui a tourné la page de l’histoire et qui a écrit un nouveau récit, après cette guerre d’Algérie qui a été un traumatisme des deux côtés.
Par RFI / Siegfried Forster
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RFI : Pourquoi est-ce si important de faire ce film aujourd’hui ?
Bouchera Azzouz : On n’a pas suffisamment exploré la première génération postcoloniale née en France et qui a écrit cette première page après la colonisation et s’est confrontée à la fois à une société qui était réticente – on peut dire raciste – et des familles qui ne voulaient pas forcément s’intégrer, mais qui venaient pour travailler. Nous, on s’est retrouvé entre-deux et il a fallu mener des batailles qui n’ont pas été regardées et analysées de cette façon, comme j’aborde le film.
Être une « beurette », que cela signifiait-il à l’époque de votre enfance et aujourd’hui ?
C’est un mot qui arrivait à notre adolescence. Comme on parlait dans les quartiers en verlan – on inversait les syllabes : « arabe » devenait « rebeu » et « rebeu » encore une fois renversé devenait « beur ». Donc, on était cette génération « beur », cette première génération de Maghrébins nés en France après la colonisation. C’est un marqueur très fort d’une génération. C’est pour cela que je voulais préserver ce mot, même s’il est très polémique et déjà je vois sur les réseaux sociaux : « oui, mais beurettes c’est une pute, pourquoi revendiquer ce terme ? » Je ne le revendique pas, mais c’est comme cela qu’on nous appelait. Et c’est pour cela que le film s’appelle comme cela.
Vous avez grandi dans la Cité de l’Amitié à Bobigny, dans la banlieue parisienne. Au début, vivre dans une cité, dans un HLM, c’était pour beaucoup de gens un rêve, un modèle pour le vivre ensemble. Vous illustrez vos propos avec des images incroyables d’époque de votre enfance dans la cité, l’école, le centre de loisirs, les colonies de vacances…
Ce sont des archives réelles de Bobigny, de la cité, que j’ai retrouvées aux archives départementales. À l’époque, en France, il y a une crise de logement. Toutes les familles rêvent d’avoir un logement neuf, moderne. Et ma cité a été pensée pour accueillir des gens et au-delà pour qu’ils y construisent une vie avec leurs enfants et leurs voisins. Il y avait un esprit de valeurs partagées. On voit bien, la cité a été conçue pour vivre harmonieusement et pour vivre ensemble. Mais, petit à petit, on arrive à un tournant, où l’on passe à autre chose. On veut tous être propriétaires, posséder des choses. On glisse d’une société de valeurs à une société matérialiste où posséder devient l’enjeu.
Le film montre très bien comment cela a changé : il y a d’abord la crise économique, ensuite l’aide au retour proposée aux immigrés, puis les coupes budgétaires pour les HLM et en même temps l'incitation à devenir propriétaire, mais ce sont surtout les Français qui ont acheté les pavillons dans la banlieue. Le tout a provoqué la montée du Front national et la crispation et le retour à l’identitaire des familles immigrées. De l’autre côté, vous citez la Marche des Beurs, Ni putes, ni soumises (dont Bouchera Azzouz était sécrétaire générale entre 2007 et 2009)… Comment les « beurettes » ont-elles réagi à cette évolution de la société française ?
L’immigration est une chance pour la République, parce que cela la confronte à ses idéaux. Il faut qu’il y ait des immigrés qui arrivent pour qu’on se dise : comment on va penser l’égalité, la fraternité, comment on pense au vivre ensemble ? Comment accède-t-on à la liberté pour des filles qui étaient dans des familles où souvent les traditions entravaient leur désir de liberté et d’émancipation ?
Je pense que les filles ont un rôle particulier, parce que nous avons compris qu’il fallait faire à la fois évoluer la société, mais aussi nos familles. On a mené un combat à la fois à l’intérieur de nos familles pour aussi les faire évoluer. Nos parents, quand ils arrivent en France, ils sont encore dans leur rapport à la France de la colonisation. Nous, on a le courage de remettre en question l’organisation familiale et les modus vivendi dans nos familles en disant que : on ne peut pas vivre en France et en même temps ne pas accepter de donner à ses enfants toutes les possibilités d’intégration, de s’émanciper, d’accéder à la liberté pour les filles. On a joué un rôle extrêmement important. Encore une fois : ce rôle-là, il a été aussi minoré.
Aujourd’hui, vous êtes une femme épanouie, une femme libre, mais vous soulignez que vous avez failli à devenir une fondamentaliste portant le voile. Pourquoi ?
Le racisme est quelque chose de très violent. Quand vous le vivez à l’enfance, cela vous traumatise. Avec les années, ce sentiment d’un peu d’humiliation, un peu de quête d’identitaire à l’adolescence, il s’est trouvé que l’islam radical est arrivé voulant nous rapporter une solution identitaire et nous attraper dans ses filets en nous disant : voyez, la société française est raciste, regardez la montée du Front national et de Jean-Marie Le Pen, ils ne vous accepteront jamais, vous serez toujours des colonisés. Donc, revendiquez votre identité religieuse, soyez fier de votre identité religieuse. Ça nous parlait ! Sauf qu’à un moment donné, on se rend compte que ce n’est pas la solution. Pour moi, il fallait en sortir. Cela prend du temps. Et puis, cela a donné le premier film, Nos Mères Nos Daronnes (2015), ensuite On nous appelait beurettes. Je pense que c’est important d’apporter une expérience de vie, une analyse empirique, intime, personnelle qui peut peut-être aider d’autres jeunes qui sont encore confrontées aujourd’hui à ce sentiment d’exclusion, de discrimination, de racisme.
À la fin du film, vous affirmez : « Nous sommes plus des colonisés ». Pourquoi c’était si important de mettre cette phrase à la fin ?
On voit bien que, aujourd’hui, dans le débat émerge cette question de la racialisation avec les Indigènes de la République dont les thèses sont qu’on sera toujours discriminés et on subira du racisme, parce que l’État est structuralement raciste. Pour moi, c’était important de leur répondre : regardez par quoi on est passé. On ne peut pas être malhonnête et être dans le déni de l’histoire. Notre histoire compte. Il faut donner de l’espoir à nos jeunes et leur dire : regardez la société française dans laquelle nous avons vécu. Nous sommes la première génération postcoloniale. Donc, si quelqu’un peut parler de cela, c’est bien nous. Aujourd’hui, on a des droits, il y a des politiques de luttes contre la discrimination, contre le racisme, pour l’égalité des chances. On a mené des luttes qui ont abouti à faire évoluer la société et on ne peut pas dire que la société est structurellement raciste et qu’il faut s’enfermer dans nos identités particulières.
Vous soulignez d’être la première génération de filles d’immigrés en France après la guerre d’Algérie, mais, étonnamment, dans votre film, la guerre d’Algérie n’est évoquée nulle part.
Par RFI / Siegfried Forster
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